Faire l’amour — le sexe comme expérience limite (2014-2015)

Qu’est-ce que «faire l’amour»? L’expérience du sexe, plus que n’importe quelle autre, est une expérience indicible, immatérielle jusque dans les fantasmes qui l’accompagnent en permanence. Pourtant, le corps y est présent massivement, mais c’est un corps constamment débordé par des éclats de désirs, dans un grand mélange de sucs et de peaux.

Il y va dès lors d’une situation-limite qui constitue un défi pour la pensée philosophique. Relativement familière avec le désir, avec le manque ou le processus de subjectivation, celle-ci est beaucoup moins à son aise avec le sexe considéré pour lui-même. Voilà une situation stimulante pour la philosophie, qui la pousse vers tout ce qui n’est pas elle: le geste muet, le témoignage maladroit, la mise en scène littéraire ou encore la performance.

Tandis que le vécu du sexe semble tout intérieur, il est potentiellement source de conflits de l’individu avec la société et de volonté de contrôle de la société envers l’individu. Le caractère foncièrement brut et primitif du sexe menacerait-il, encore et toujours, de déchirer le voile de civilisation qui constitue l’essence stabilisatrice de la société? Faut-il dès lors recourir à la mystique ou au sacré, seules dimensions qui seraient à même d’en rendre compte?

Nous voulons éviter de réduire la sexualité à autre chose qu’elle-même. Ainsi elle n’est pas d’abord un phénomène simplement psychologique ou relationnel, ni un mécanisme biologique, au sens où elle serait uniquement au service de la procréation. Elle n’est pas de prime abord une question d’identité ou de genre, puisque les identités sont en permanence brouillées dans l’acte sexuel. Il ne s’agit pas non plus de réduire le sexe à l’«amour physique» mais d’interroger le rapport entre amour et «faire l’amour». Ne peut-on pas avoir du sexe sans amour – ou s’aimer dans un couple sans avoir du sexe? Laquelle des deux situations est la plus scandaleuse?

Dans le cadre de cette saison du Groupe Vaudois de Philosophie, proposée en partenariat avec la Maison de quartier sous-gare, nous souhaitons ouvrir la description de l’événement sexuel, par delà toute réduction et toute catégorisation, c’est-à-dire penser cet événement en tant qu’il constitue un des lieux privilégiés dans lesquels se rejouent et se réinventent toutes les identités, les liens et les appartenances.